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Jasmin - tea time

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Le Perchoir, un après-midi,

Logan se tord les mains, faisant les cent pas dans son petit appartement du Perchoir. Il avait proposé à Jasmin d’aller le chercher à l’arbre des pendus lors de son retour, mais ressusciter est un acte intime, privé. Cela l’arrange car il n’aime pas l’aspect des voyageurs pendus, ça soulève son petit cœur sensible… Mais ce refus a pour conséquence l’embarras qu’il ressent désormais. Il faut dire que prendre le thé avec la personne dont on vient de déguster la cuisse piquée à l’ail n’est pas forcément la situation sociale la plus envieuse qui soit. Et si Logan redoute cette entrevue, il est essentiel pour lui de s’excuser et de rendre à son tour service à la personne qui a sacrifié une après-midi pour mourir afin qu’il puisse se sustenter.

Il doit avouer que ce repas est arrivé au bon moment, cela faisait plusieurs jours qu’il n’y tenait plus. Sa faim était si grande, rien ne pouvait l’étancher et il savait que chaque seconde le rapprochait du point de non-retour. Affaibli, cerné, pâle, il n’était plus que l’ombre de lui-même, la souffrance de la faim gardait sa carcasse en un éveil trouble. Ses yeux ne semblaient voir que le rouge, le rouge du sang dont il souhaitait tant se repaître… Quelle ne fut pas sa surprise quand quelqu’un daigna répondre à sa petite annonce et mettre fin à son supplice…

C’est ainsi qu’il a commis le premier crime de son existence de goule et s’il a tué rapidement Jasmin, découper sa pièce de viande du jour s’est révélé être une autre paire de manche. Il frissonne de dégoût en y repensant et sort les cinammon rolls du four dont la minuterie vient de retentir. Logan consulte sa montre tout en disposant les pâtisseries sur une assiette au décor champêtre : Jasmin ne devrait plus tarder… Il dépose l’assiette au milieu de la petite table en bois, sur le premier napperon qu’il a réalisé, le premier soir de son arrivée sur l’archipel. Il vérifie une dernière fois qu’il est prêt à recevoir son invité : de chaque côté de l’assiette de cinnamon rolls se trouvent deux petites tasses blanches à soucoupes dorées, sa bouilloire n’attend que d’être allumée, il a bien aéré son living room afin de chasser les odeurs rémanentes de chair cuite qui y régnaient. Il a même mis un disque de musique locale à un volume sonore bas pour ne pas incommoder Jasmin.

Logan jette un dernier coup d’œil à son reflet : son teint s’est coloré, ses cheveux sont moins ternes et ses yeux sont moins cernés : il revit également. Finalement, la sonnette retentit et il actionne la poignée de porte et accueille le jeune homme dans son appartement. Dans un souffle, il déblatère la plus chaotique de ses répliques et guide Jasmin vers la petite table en bois :

- Merci d’être venu, enfin… revenu. Ca a été, pas trop difficile le retour ? Je ne saurais comment te remercier… assied toi si tu veux bien, je vais lancer la bouilloire. Quelle sorte de thé veux tu boire ?

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Il faut bien mourir une 1ère fois
Je ne sais pas exactement ce qui m’a pris, ce qui m’est passé par la tête, lorsque de mes deux mains j’ai rassemblé mon courage et sonné à la porte de cet appartement. Enfin, si. Je sais, je ne le sais même que trop bien.Je suis Jasmin. Tout simplement.

Ce n’était pas la première fois que je passais devant cette maison du quartier résidentiel de la capitale. Tout à commencé il y a une semaine lorsqu’en me baladant dans la ville une terrible douleur me prit l’estomac. J’avais faim. Ou plus précisément je mourrais de faim comme jamais je ne l’avais ressenti jusqu’alors. Bien trop habitué à mon imprévisible “pouvoir”, je compris tout de suite que la sensation ne venait pas de mon petit ventre bien rempli de hot-ball mais sûrement de celui d’un habitant du coin. 

Mais qui pouvait bien se laisser ainsi mourir de faim ? 

Curieux, et un peu inquiet avouons-le, je repassais plusieurs fois dans la semaine. La douleur était toujours présente. Elle se faisait même de plus en plus forte. Et je ne comprenais guère comment dans ce monde où personne ne semblait manquer de rien, une telle faim pouvait exister… 

Je finis par découvrir la vérité. Non pas grâce aux maigres capacités de mes petites cellules grises, mais en lisant par hasard une annonce affichée dans le quartier. Un certain Logan recherchait une personne volontaire pour lui servir de repas. Tout simplement. Il était cannibale. Voilà. Les mots sont posés, sont dits.

Cannibale.

N’importe qui de censé aurait pris les jambes à son cou. N’importe qui possédant une once d’instinct de survie n’aurait jamais remis les pieds dans cette rue. Mon cerveau, mon corps et tout mon être m’ordonnaient de m’éloigner d’ici.

Et pourtant…

J’ai poussé la porte de la demeure de ce fameux Logan. Incapable de laisser quelqu’un dans une telle souffrance. Je ne vais pas mentir, ni faire le fier. J’étais terrorisé. Tout tremblotant. Inquiet. Car même si je savais que j’allais ressusciter dernière je ne m’étais jamais fait manger. Je n’étais même jamais mort jusqu’alors.

J’ai expliqué en balbutiant que j’étais là pour l’annonce devant ce fameux Logan. Il avait l’air encore plus surpris que moi de trouver là. Il me remercia grandement et m’expliqua rapidement comment on allait procéder. J’avoue que je n’ai pas trop écouté les détails. J’allais mourir, il allait manger un petit bout de moi. Cela me suffisait. Et me perturbait déjà  bien assez

Dans quoi m’étais-je encore embarqué ?

C’est la question que je me pose encore, une bonne heure après, maintenant que je suis revenu sur les lieux du crime pour prendre une tasse de thé avec mon meurtrier. Pour être honnête, je ne me souviens pas très bien de mon meurtre. Ce ne fut pas très douloureux - ou tout du moins j’avais déjà connu bien pire - et plutôt rapide. Logan est un assassin efficace. Et je ne sais pas trop si je dois m’en réjouir ou m’en inquiéter, mais ma première mort se passa sans encombres.

C’est ainsi que pour la deuxième fois de la journée, et la première fois cette vie, je passe le pas de la porte, accueilli chaleureusement par Logan.

Je n’avais pas trop trop fait attention à son apparence tout à l’heure mais il me semblait… en meilleure forme désormais ? Il me guide vers une petite table en bois tout en me posant plusieurs questions:

▬ Merci d’être venu, enfin… revenu. Ca a été, pas trop difficile le retour ? Je ne saurais comment te remercier… assied toi si tu veux bien, je vais lancer la bouilloire. Quelle sorte de thé veux tu boire ?

Je me laisse tomber sur un des sièges avant de lui répondre.

▬ Oui, euh pas de souci pour le retour. J’ai demandé aux Habitants de me ramener directement dans le quartier plutôt qu’à la mairie…Et euuuh merci pour le thé. Je… J’aime bien le thé noir, avec un peu de lait si tu en as.

Je n’ai pas pu m’empêcher de bégayer, ni même de trembler. Je voulais pourtant agir le plus sereinement possible. Pour le rassurer j’imagine. Après tout, j’avais plutôt bien vécu mon bref passage dans l’au-delà. Mais il est vraiment très étrange de se trouver en face de la personne qui vient de vous tuer. Et de vous manger.

J’essaye tout de même d’afficher un sourire, maladroit et gêné. Vite un sujet de conversation… Là, les petits cinnamons sur la table !

▬ Oh euh… Ils ont l’air très bons ces cinnamons ! Ils sentent super bons ! Je... euh… peux en manger ? Genre je veux dire… Ils sont… normaux hein ? Enfin euh évidemment qu’ils doivent l’être tu ne m’en proposerais pas sinon, enfin j’imagine…. AH DÉSOLÉ.

Je ne peux m’enpêcher de cacher mon visage rougissant derrière mes mains. Rah, mais quel crétin je fais. Me voilà en train d’embarrasser mon hôte, tout en me couvrant de ridicule, alors que je voulais me montrer rassurant en abordant un sujet de conversation banal. RAH.

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D'aussi loin qu'il se souvienne, Logan a toujours été une véritable bonne poire. On le disait même "trop gentil", un concept que lui-même a du mal à comprendre : selon lui on ne peut jamais être assez gentil et certains devraient même en prendre de la graine ! Depuis qu'il est devenu une goule sanguinaire par amour - son statut de bonne poire l'ayant fortement desservi dans ce cas précis - il se sent d'autant plus obligé de rendre au centuple les services qu'on pourrait lui rendre. En plus de cela, il est l'inverse du chercheur d'histoire, se contentant de se promener, de boire du thé à une température optimale et de créer des napperons. Depuis peu, il s'est lancé dans le macramé afin de pendre diverses pots de plantes ou autres décorations. Aux yeux du visiteur non averti, il est vrai que son appartement ressemble à s'y méprendre à celui d'une grand-mère terrienne, mais Logan n'en a que faire et se complait dans l'ambiance diy et vieillotte de son salon.

Autant dire qu'il a déjà mille et unes idées pour remercier Jasmin, cet homme doué d'une bonté sans fin qui a accepté de servir de repas à la brave goule. Et quel bon repas ! Il en salive malgré lui en y repensant : il a assaisonné un petit morceau de jambe avec des herbes locales qui ont le goût d'ail et de ciboulette terrestre et s'est régalé. Il évitera d'y repenser en présence de celui qui a servi d'ingrédient principal à son déjeuner.

D'ailleurs, ce dernier vient d'arriver et Logan le reçoit avec to ute l'amabilité et la maladresse qui le caractérise. Il sait qu'il y a des choses plus agréables que de mourir - tout du moins il s'en doute - et ne chérit pas particulièrement le souvenir de son passage à l'arbre des pendus. Il ne comprend toujours pas comment son annonce a fini par fonctionner et la chance qu'a représenté Jasmin dans sa vie. S'il n'avait pas pu manger, il aurait certainement commencé une boucle sans fin entre la famine et son réveil à Bésixdouze...

Il cache avec brio son dégoût sévère hautement anglais devant la requête de Jasmin : du thé noir assorti de lait... Il sait que certains êtres aiment agrémenter leur boisson théinée de lait ou de sucre mais cela consiste pour lui une hérésie...

- J'imagine que c'était plus rapide, en effet. Et pour le thé, j'ai un très bon Earl Grey trouvé au comptoir bric à brac !

Il met en route sa bouilloire et règle la température sur 90°C, qui est la température idéale pour l'infusion de ce thé et remplit deux boules à thé des précieuses herbes avant de les déposer dans les tasses. A la question suivante de son invité, son coeur se serre : jamais il ne servirait de viande humaine à quiconque, il ne souhaite pas particulièrement partager son fardeau... Il marmonne sa réponse :

- Non, heu, ils sont normaux, enfin chez moi c'est comme ça qu'on les fait... Je ne suis pas un monstre...

Il sert l'eau qui est à température idéale et prépare un minuteur de trois minutes avant de s'assoir lui aussi à la petite table.

- J'espère que tu n'as pas eu mal, quand...

Il ne veut pas dire "quand je t'ai tué", cette vérité lui fait bien trop de mal mais il faut qu'il sache si sa technique d'assassinat a été efficace.

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