Rem est une incohérence.
Il semble émaner de lui, presque naturellement - ce sentiment de contraste flagrant, ce quelque chose chez lui qui ferait penser qu’il n’a pas fini de grandir. Pourtant son allure, bardée de rouge et de noir, pourrait presque lui donner l’aplomb de quelqu’un de revêche – mais toutes ces émotions bien trop fugaces sur son visage encore juvénile et cet air complètement hagard, comme si tout lui échappait, filait entre ses doigts à chaque instant, le trahissent.
(il ressemble juste à un gamin qui aurait volé les fringues de son grand-frère, ou dont on aurait choisi la garde-robe sans le consulter.)
C’est encore plus flagrant lorsqu’il parle. Dans chacun de ses mots, chacune de ses questions transparaît une naïveté, une candeur encore évidente, celle d’un enfant qui n’a pas encore affronté le monde, d’un garçon qu’on aurait poussé dans le vide, sans égard pour sa sécurité. Il a vingt-quatre ans, mais en paraît encore quinze ; et ses sourires maladroits, n’en témoignent que trop bien. Et comme un gosse, Rem est facilement effrayé – terrifié de ne pas être à la hauteur. Au fond de lui, il sait qu’il ne vaut sûrement pas grand chose ; les cicatrices sur ses bras en sont des souvenirs encore tangibles.
(il n'y a que ça qui fonctionne pour repousser ces échos qui le submergent, ces images qui parfois lui reviennent au plus noir de la nuit—ces simulacres d'une vie ne lui appartenant pas.)
C’est pour ça qu’il ne se pose que très peu de questions, qu’il boit les paroles de tous ceux qu’il pourrait croiser, qu’il aurait presque une confiance aveugle en tous ceux qui viendraient à simplement lui parler. Il laisse faire : il sait que les autres en savent bien plus, qu'ils sont bien plus compétents que lui. Il sera là si on l’appelle, si on a besoin de lui, et serait capable de tout à ce moment là - sans aucune considération pour son propre être. Si c'est pour aider ceux à qui il tient, Rem n'a pas peur de se blesser, de se briser.
(il a simplement peur de se perdre.)
Alors Rem continue, autant qu’il le peut, à se convaincre que tout va bien, laisse ces ombres derrière lui pour mieux avancer. Il ferme les yeux, se laisse aller, offre tout ce qu'il a, tout ce qu'il peut, tout pour donner un sens à son existence ; à ce que que « Rem » est.
(s'il n'est pas seul, peut-être que ça ira.)
On lui explique, on le guide, à travers des méandres trop floues pour quelqu'un qui n'a rien à se souvenir, qui a tout perdu aux suites d'un incendie qui a brûlé bien plus que sa mémoire. L'homme le prend sous son aile, lui offre un endroit où rester, un nom—Rem. Un nouveau départ.
Au sein des murs de la demeure d'Oswald Einar Rietveld, l'homme qui est désormais son responsable légal, Rem reconstruit, réapprend, lentement. Examen après examen, spécialiste après spécialiste, Oswald, lui-même médecin, s'assure qu'il dispose de tout ce dont il a besoin pour aller mieux. Rem ne questionne rien, trop reconnaissant qu'on ne l'aie ne serait-ce qu'autorisé à survivre.
(il ne questionne rien, pas même ces bribes d'images qu'il a l'impression d'avoir rêvé, ces impressions de suffoquer, le contact d'un liquide contre sa peau—non, tout autour de lui, et,)
Ses jours en convalescence s'écoulent et les saisons défilent, l'une après l'autre. La chair guérit lentement ; sa psyché est un autre problème. Flashbacks, angoisses, crises de panique, terreurs nocturnes l'assaillent, le rendent instable, craintif. Mis sous traitement et suivi psychologiquement par son tuteur, il trouve confort dans les livres, les bandes dessinées - demeure de héros bien plus courageux, plus braves que lui.
(il se dit, peut-être, un jour, qu'il pourrait être comme eux.)
Rem sait qu'au fond de lui, il y a quelque chose qu'il ne reconnait pas. Quelque chose qui bouillonne dans ses entrailles, qu'il n'arrive pas à contrôler. Quelque chose que son tuteur veut garder sous la surface, à grands coups de mots rassurants, de tout ira bien, je m'en assurerai personnellement ; et il lui fait confiance. Il a toujours su, toujours mieux su que tout ce que Rem aurait pu faire. Oswald lui intime qu'il a besoin de lui, pour quelque chose qui irait changer leurs vies—leurs vies à tous.
(il lui fait confiance, même lorsqu'au nom de ce quelque chose, il se réveille sans aucun souvenir de ce qui lui est arrivé, couvert de sang et de blessures — destruction et ruine autour de lui.)
Mais il ne veut pas savoir.
Il n'a pas à savoir,
parce que t̸o̷u̷t̸
ir̴͖̽ ̷̭̈́a b̶̹͝ḯ̵̘en̴͈̎
p̸̟̔ä̴͙͉͗s̴̤̎̇͜ ̸̩̼͝v̶̲̑r̵͇͗̍à̶̱ỉ̴̺́ ?