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teagan - the wolf and the lamb

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Chez Logan, un matin

C’est un matin sans problème qui se lève sur le Perchoir. Logan se lève de son lit, s’étire en grognant tout en allant ouvrir ses volets. Il habite un petit appartement dans le quartier résidentiel et même après quelques mois à Odds and Ends, il s’étonne encore de l’aspect si singulier des lieux. Le ciel est bleu, les rues sont encore vides même si quelques habitants et voyageurs s’affairent déjà ou se promènent nonchalamment. Si Logan a choisi l’oisiveté comme occupation principale, ce n’est pas le cas de certains de ses homologues. Malheureusement, il est sorti de ses pensées par la faim douloureuse qui est logée au creux de ses entrailles.

Logan n’a pas dîné une seule fois depuis son arrivée sur l’archipel, il ne se sent toujours pas capable de tuer et se laisse mourir à petit feu. Il pose la main sur son ventre qui gargouille bien trop fort et se rassoit sur son lit : il a la tête qui tourne. Depuis quelques jours, il a également remarqué que sa peau d’ordinaire déjà pâle est désormais translucide, ses yeux sont bordés de cernes violettes et ses lèvres sèches sont bleutées. Il passe une main tremblante dans ses cheveux : cela ne peut plus durer. Il y a quelques jours, il a laissé une petite annonce sur un panneau d’affichage en ville et espère depuis qu’un humain compréhensif acceptera de lui servir de repas. Les goules sont résistantes, il lui suffirait d’une cuisse ou d’un bras pour tenir le coup plusieurs semaines. Il est gêné d’en arriver à de telles extrémités, mais les habitants lui ont bien assuré que les humains tués renaissent tous et toutes à l’arbre des pendus. Il lui suffirait juste de les tuer sans détour d’un coup bien placé sur la nuque pour leur éviter la souffrance de se faire manger… Il a même proposé une tasse de thé pour se faire pardonner…

Cela dit, personne ne semble prendre en compassion la souffrance de la pauvre goule et Logan ne peut que comprendre : il donnerait tout pour perdre son statut et pouvoir se contenter d’une bonne soupe de légumes pour être rassasié… Après quelques minutes de lipothymies, il parvient à se lever et à mettre sa bouilloire sur le feu. Bien entendu, il aime toujours boire son thé du matin même s’il ne lui apporte aucune sensation de satiété. Si son estomac se remplit un peu ainsi, il n’en va pas de même pour cette faim de sang et de chair humaine… Une fois son breuvage préparé, il s’assoit sur son fauteuil et reprend l’ouvrage qu’il a débuté la veille : il s’agit d’un napperon en crochet serti de coquillages trouvés sur la plage de Cressand. Il espère pouvoir en faire cadeau à la personne qui acceptera d’étancher sa faim avant qu’il ne se retrouve lui-même à Bésixdouze…

Au bout d’un certain temps, quelqu’un frappe à la porte de sa petite demeure et il prend une dernière gorgée de thé noir avant de se lever et d’aller répondre, fébrile : peut-être s’agit-il de son futur repas ? Il sentirait presque son sang battre sur ses tempes, en réalité son sang ne circule plus vraiment dans son système donc c’est plus une impression qu’une réalité. Il ouvre la porte, tout sourire.

- Bonjour, que puis-je faire pour vous ?

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Ce monde est de plus en plus étrange. Habitant au Perchoir, Teagan est bien placé pour s'en rendre compte. Entre les boutiques qui apparaissent de nulle part pour proposer un breuvage qui n'a de thé ou de café que le nom (et puis le potiron n'est pas une épice, quel esprit malade a bien pu décider d'en faire une ?), et l'architecture sans cesse changeante, patrouiller et chasser les Démons est un défit sans cesse renouvelé.

Sauf aujourd'hui.

Aujourd'hui, Teagan se tient devant une porte, une annonce en main. Cette annonce propose à celui qui y répond de se faire dévorer en échange d'une tasse de thé. Le concept de l'arbre aux pendus n'est pas étranger à Teagan, et il comprend bien que, théoriquement, il serait possible d'assassiner quelqu'un, de le dévorer, et cette même personne ne s'en porterait pas plus mal. Mais quand même, il devait savoir. Quel genre d'individu propose ce genre d'échange de services ?

Poussé par la curiosité plus que par l'envie de se faire dévorer, Teagan s'est donc rendu à l'adresse et frappe à la porte, sans violence.

On lui ouvre.

Ah, pense-t-il. Ce genre d'individu. Il sourit. Il n'aura pas perdu sa journée.

Son poing vole presque tout seul, un magnifique direct du gauche en direction du nez de l'immonde créature qui se tient face à lui.

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On ne peut pas qualifier Logan de violent. Même petit et entouré de nombreux frères, il s’est toujours tenu loin des bagarres, fuyant dès les premiers coups. Oh il sait se défendre, mais il abhorre la violence. Dorénavant, cela lui joue des tours : une goule pacifiste, ça ne survit pas très longtemps. Et depuis son arrivée à Bésixdouze, il se complait dans le calme et l’apaisement qu’il trouve en ce lieu, ce qui lui permet de se concentrer sur ses travaux manuels qu’il chérit. Il n’est pas un homme d’action et si les ennuis le trouvent, c’est souvent par le plus grand des hasards – ou une malchance incroyable. Logan préfère beaucoup plus siroter son whisky au coin du feu en tricotant que de chercher la bagarre, quand bien même cela pourrait lui rapporter un repas.

La surprise est donc complète lorsqu’au lieu d’une réponse amicale, il se retrouve projeté en arrière d’un pas : un poing vient de s’écraser dans son nez. La goule grimace et essuie le sang qui coule d’ores et déjà de ses narines, essayant de conserver son calme devant cette violence insensée. Il ne veut pas être rattrapé par ses instincts bestiaux. La surprise fait place à l’incrédulité.

- Mais calmez vous enfin, je ne vous ai rien fait ! Il fait un geste d’apaisement avec ses mains et recule de quelques pas, ne pensant même pas à fermer la porte au nez de l’odieux personnage.

Il a une drôle d’allure cet homme, avec ses lunettes et son grand chapeau. Il a surtout l’air furieux, et, encore une fois, le pauvre Logan est loin de se douter que son état de goule est ce qui met cet homme dans cet état.

- Vous êtes un voisin ? J’ai fait du bruit ? On peut s’arranger en discutant, je peux vous servir un thé.

Il ne sait que faire l’écossais, il est on ne peut plus perdu dans les événements et saisit son mouchoir brodé de ses initiales pour essuyez son nez sanguinolant.

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Rien fait ? RIEN FAIT ?!? Ça prétend dévorer des êtres humains, c'est très clairement un Démon, et ça joue l'ignorance ? Mais qu'est-ce que c'est que ce cirque...

Le poing a volé par réflexe mais Teagan fait maintenant la bêtise de s'arrêter pour réfléchir quelques instants. Le Démon s'inquiète de savoir s'il a dérangé les voisins en faisant trop de bruit.

Ce monde, bon sang, ce monde... Teagan soupire, et brandit l'annonce.

" C'est bien vous qui cherchez à dévorer des humains ? "

Il ne fait aucun commentaire quant au thé, mentionné dans l'annonce et sûrement empoisonné. Il fait cependant un pas dans l'embrasure de la porte avant qu'il ne vienne au Démon l'idée de la lui fermer au nez. Non pas qu'il ne pourrait pas la défoncer, mais si les voisins étaient sensibles au bruit...

Mais il s'en fiche, bon sang ! Qu'est-ce que ce monde lui fait ?!?

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Il en rêve. Il rêve, tellement fort, toutes les nuits de se débarrasser de cette faim insensée qui l'habite. Mais à l'aube, alors qu'il ouvre les yeux, la volupté de ses rêves s'évanouissent : Logan est et reste cette goule qu'il hait tant. La faim le consume, elle s'affronte avec des principes humains, des valeurs ridicules par rapport à l'ordre cosmique qu'il connait désormais. Mais il s'accroche : qui sera t'il s'il perd ses croyances mortelles, s'il cède à sa nature profonde ? Car Logan n'aime pas bousculer ses habitudes, il est un casanier assez malchanceux, obligé de regagner des routines lorsque l'existence se joue de lui...

Il fait profil bas au Perchoir, ne se liant qu'avec peu de voyageurs ou d'habitants, ayant déjà ses habitudes auprès de certains cuicuimerçants de sa rue. Autant dire qu'il est on ne peut plus surpris de se faire boxer sur le pas de sa porte.

- Euh... oui, mais je peux réparer tous les préjudices subis par ceux qui me viendraient en aide et... Monsieur, si cela ne vous plaît pas, je vous prie de simplement juste ignorer ma requête.

Non mais, est-ce que Logan va juger les habitudes alimentaires de ses voisins ? Il y a des gens ici qui font pire que de manger des humains, d'autant plus que ses "victimes" peuvent ressusciter ! Il s'apprête à fermer la porte à l'énergumène qui vient se mêler d'affaires qui ne le regardent pas, quand il s'aperçoit que l'homme a un pied dans l'embrasure. Logan le regarde en fronçant les sourcils et lui demande poliment :

- Si cela ne vous dérange pas, mon thé est en train de refroidir et j'ai un ouvrage à finir.

Il est toujours calme, Logan, et s'il panique parfois en pensant avoir dérangé quelqu'un, il reste poli et sûr de lui le reste du temps.

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Il essaie de se justifier, l'animal ! Le Démon, le cannibale, la brute ! Réparer les préjudices ? Lui venir en aide ? IGNORER SA REQUÊTE ?!? Et son thé qui est en train de refroidir ?

Mais Teagan s'en fout ! Complètement ! Il est là pour tabasser du démon, par pour discuter, et pourtant... ET POURTANT... Il ne sait pas ce qui lui passe par la tête, mais il veut comprendre, il veut savoir. Comment ce cannibale peut-il vivre au grand jour ? Comment peut-il réparer les préjudice ? De quelle aide a-t-il besoin ?

Teagan fait un pas en avant pénètre dans la pièce.

" Je vais prendre ce thé. Je peux faire un feu pour le réchauffer ou vous réchauffer s'il le faut. "

S'il voulait comprendre ce qu'il faisait ici, il fallait qu'il comprenne ce que les autres y faisaient. Non pas les Habitants ou les Fonctionnailes mais bien ceux qui, comme lui, sortaient du lot. Et ce Démon en faisait partie.

Teagan pris une grande inspiration. S'il voulait améliorer ses relations avec son frère, il fallait qu'il essaie de chercher l'autre façon de faire les choses. Loin de l'emprise de la cruelle Albion - s'il l'était bien, loin -, il pouvait revenir à de bonnes vieilles valeurs catholiques. Le Démon voulait de l'aide ? Très bien.

" Je vais vous écouter et vous aider. "

Et s'il fallait l'immoler par le feu pour l'aider, ce ne serait que pure coïncidence.

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Logan n’en croit pas ses yeux ! Voilà qu’un individu des plus étrange s’invite dans son appartement. Lui qui voulait passer une paisible matinée en attendant la mort certaine qui le guette au vu de son état de dénutrition, il se retrouve dans une situation bien trop drainante pour lui. Il laisse l’inconnu entrer, bien qu’il eût préféré le voir partir, d’autant plus que ses propositions ont de quoi effrayer. Pourquoi faire un feu dans un appartement ?

Il se hâte donc dans la cuisine et rallume sa gazinière afin de faire bouillir l’eau du thé.

- Pas besoin de faire du feu, j’ai une gazinière, je… je fais bouillir de l’eau, un Earl Grey ça vous va ?

S’il y a bien une chose sur laquelle Logan est à cheval, c’est le thé. Il chronomètre l’infusion, mesure la température de l’eau… La dégustation de thé est un art qui lui est cher et il est très heureux d’avoir trouvé ce paquet de Earl Grey au comptoir bric—brac lorsqu’il y est allé. Il jette le contenu de sa tasse dans l’évier : l’infusion a duré trop longtemps, la bergamote sera perdue sous l’amertume du thé noir. Il remplit deux petites boules à thé, conscient des yeux de l’inconnu qui le regardent et le menacent.

- Vous… vous voulez m’aider ?

Voilà qui surprend la goule, le curieux personnage ne lui dit rien qui vaille…

Une fois que la bouilloire siffle, il verse l’eau bouillant après avoir contrôlé qu’elle est bien à 90°C, comme l’exige le thé noir indien. Il apporte les deux tasses à table et allume un minuteur de trois minutes.

- Asseyez-vous si vous voulez bien. Du lait ? Du sucre ?

Il attend la réponse de son interlocuteur en s’appuyant sur le dossier de sa chaise. Qu’il est fatigué…

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Il hocha imperceptiblement la tête. Le choix de thé lui convenait très bien. Une recette récente de la maison Twinings, il l'avait bien entendu déjà goûté - même s'il n'appréciait guère les affabulations des Jacksons de Piccadilly. Il était bien placé pour savoir que Charles Grey n'avait jamais fichu les pieds en Chine, diplomatiquement ou autrement. Et le thé utilisé par Twinings, le thé officiel de sa Majesté l'Impératrice, donc, était du thé indien - comme tout ce que l'Impératrice aimait, d'ailleurs. Non, il était plus probable que le Comte Grey ait fait tombé un bout de bergamote dans son thé par accident et ait déclaré la chose intentionnelle pour ne pas perdre la face. La recette étant bonne, il s'en sortait bien, l'animal.

Il observa la "gazinière" d'un œil noir. Il ne voyait jamais là rien de plus qu'une invention dangereuse de plus, un outil dans la droite lignée des chaudières Stockwell, qui ouvrait un micro-portail vers le plan du feu pour contrôler l'intensité de la flamme. C'était malin, il devait le reconnaître, et une méthode d'utilisation des portails qu'il devrait apprendre à l'occasion. L'ouverture avait été instantanée, et ça, ça lui plaisait beaucoup.

Il s'assit lorsqu'on lui proposa, et répondit aux questions dans l'ordre.

" Oui. Non. Non. "

Il appréciait une bonne recette, mais il était contre la dénaturation des breuvages. Autant gâcher un whiskey en y ajoutant une part de la nouvelle boissons à la mode outre-atlantique, celle à base de plante de coca.

" Je n'en ai pas l'air comme ça, mais je suis un homme de Dieu. J'aide toutes les âmes en peine. "

D'habitude, cette aide était anticipée, et consistait à massacrer tout ce qui pourrait menacer une âme ou la mettre en peine. Un sauvetage préventif, quoiqu'en disait son frère qui préférait se pointer après la bataille pour recoller des morceaux qui n'auraient jamais dû casser. Ils ne seraient jamais d'accord sur la façon de faire, mais tous les deux respectaient les enseignements de Torin. Un jour, ils arriveraient à se respecter l'un-l'autre sur cette base. Et pour cela, il fallait que Teagan évolue, que sa vision du monde change. Qu'il soit un bon catholique. Se faire traiter d'Anglican lui déplaisait, c'était un mal pour un bien qui valait tous les sacrifices - mais ne pouvait-il changer de méthodes dans ce nouvel environnement ? Se faire passer pour Anglican était-il toujours nécessaire ?

" Vous êtes poli et savez faire du thé, vous avez probablement une âme. Si vous en êtes à dévorer des gens, vous êtes sûrement en peine. Et donc... je vous écoute. Comment puis-je vous aider ? "

Avec de la chance un petit passage par Bésixdouze - pendu à l'Arbre, bien sûr - lui rendrait service. Une solution élégante qui aiderait Teagan à faire preuve de charité catholique sans pour autant sortir de sa zone de confort.

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