ils sont une centaine d'enfants, tous venus de planètes différentes, et pour la plupart très jeunes, trop jeunes pour se souvenir du foyer auquel on les a arrachés. ils n'ont pas de nom, pas d'identité en dehors du numéro qu'on leur a attribué à leur arrivée, tatoué sur leur poignet pour qu'ils ne puissent jamais s'en défaire. et pourquoi souhaiteraient-ils s'en défaire ? le programme est tout ce qu'ils connaissent, et le servir est la seule raison de leur existence.
iel porte le nombre 13, on le surnomme donc thirteen. iel ne fait preuve d'aucun talent particulier, ne se distingue ni pendant les entraînements, ni pendant les cours. iel n'est pas mauvais, loin de là, mais iel n'est pas le meilleur non plus. ce qui le différencie des autres, c'est qu'iel se souvient. de sa vie avant qu'on l'emmène, de sa planète, de sa famille, un peu. c'est un peu flou et iel ne se rappelle pas tous les détails, comme son propre nom, mais c'est suffisant pour ressentir de la nostalgie ; c'est suffisant pour vouloir rentrer.
mais, bien sûr, c'est interdit. personne ne quitte le programme. alors iel n'en parle pas.
certains enfants s'adaptent mieux au programme que d'autres. un en particulier réussit tous les exercices à la perfection, surpassant de loin tous les autres. il est arrivé le premier, et il porte le numéro 000 – zero. la plupart des enfants ont peur de lui et n'osent pas l'approcher, alors il est le plus souvent seul. enfin, il l'était jusqu'à ce que thirteen ne décide de devenir son ami. après tout, ce n'est pas juste que zero reste seul tout le temps ! iel ne voit pas de raison d'avoir peur ; zero n'est qu'un enfant, comme eux tous.
alors thirteen reste avec lui, et iel lui parle. au début, zero ne répond pas. mais il écoute. et puis, un jour, il dit quelques mots, et le lendemain quelques phrases. il n'est toujours pas très bavard, mais ce n'est pas grave, thirteen est quand même content d'être son ami. iel lui raconte des histoires sur sa planète, et zero a l'air de trouver ça intéressant. il a les yeux qui brillent quand thirteen parle, alors thirteen continue de parler.
"chez moi, dans le désert, on ne peut pas sortir la journée parce que les soleils brillent trop fort, mais la nuit, c'est le plus bel endroit du monde ! on peut s'allonger sur les dunes et compter les étoiles"
"j'ai plein d'adelphes, je suis sûr qu'iels t'aimeraient beaucoup – et mes parents aussi, iels sont très gentils"
"un jour, je t'emmènerai là-bas, zero ! toi et moi, ensemble, on s'en ira loin d'ici, c'est une promesse"
thirteen promet, et iel y croit vraiment. ensemble, ils peuvent y arriver. il faut juste le vouloir vraiment ; tout est possible, si on essaie assez fort. pas vrai ?
sauf qu’il n’est pas si aisé d’échapper au programme, et le jour où ils s’échappent enfin, rien ne se passe comme prévu. peut-être qu’ils ont fait une erreur, peut-être que leur plan n’était pas parfait, en tout cas ils les ont rattrapés et maintenant il faut se battre. thirteen n’aime pas se battre. c’est ce qu’ils leur apprennent, et iel ne veut pas devenir comme eux, le personnel et leurs uniformes immaculés, pantins sans conscience ni personnalité. alors iel s’enfuit.
c’est en s’écrasant sur une planète inconnue qu’iel réalise – zero n’est pas avec lui.
mais thirteen, iel n’a plus de navette, elle a été détruite à l’atterrissage alors iel ne peut pas repartir. iel n’a pas le choix ; iel est obligé de rester là, sur terre, et d’attendre que zero le retrouve. parce qu’il le retrouvera un jour, c’est sûr.
en attendant, thirteen regarde les étoiles et iel rêve, toutes les nuits, à leurs retrouvailles.